A A A

(sous-titre : manuel de l’anti-coach)

coachemar

Comme tout coach professionnel qui se respecte, je suis supervisé sur ma pratique. Ou plutôt, j’étais. Mon superviseur s’est déclaré incompétent à m’accompagner désormais : un comble ! Cela est lié semble-t-il à mon dernier coaching dont je lui ai rapporté le déroulement a posteriori. Il est décidément difficile de trouver des superviseurs compétents !

Je rapporte ici le coaching des plus banals qui, manifestement et pour des raisons tout à fait insondables, l’a fait tourner les talons.

L’entreprise subissait la crise de plein fouet, je le savais. Un contexte où le coaching peut trouver toute sa place. En tout cas où les coachs ont des opportunités à saisir. Le DRH avait fait appel à moi parce qu’il m’avait trouvé sur internet : un de ses managers opérationnels avait besoin d’être coaché – une urgence apparemment. Au téléphone, il ne m’avait pas caché qu’on pensait sérieusement à se séparer à terme du manager en question, dans un contexte de plan social qui ne dit pas son nom. Le coaching était un prétexte, une parfaite instrumentalisation. Pour moi, un job habituel.

De tout cela il n’est rien transparu lors de l’échange à trois que nous eûmes, le DRH, le manager – on va l’appeler Paul – et moi. Le contexte du coaching était celui de la restructuration en cours dans la société et de la nécessité de mobiliser des compétences nouvelles auprès d’équipes en tension au quotidien sous l’impact de l’incertitude et du changement. Officiellement. En fait le service dont Paul avait la charge devait être purement et simplement supprimé, échéance à 6 mois maximum. Mobilité interne, démissions à provoquer, licenciements en dernier recours, si possible en dénichant ici ou là quelques motifs de fautes lourdes. Facile, en ces temps de crise.
Le DRH avait toute confiance en Paul pour mener à bien sa mission et Paul, quoique sans enthousiasme débordant, semblait parfaitement conscient des enjeux de sa mission et déterminé à la mener à bien. Était-il conscient de ce qu’il ferait partie de la charrette ? Oui, comme je l’appris plus tard, mais il n’en laissa rien paraître lors de cette première rencontre. Je me gardai bien d’évoquer ce point. Que les objectifs des uns et des autres restent cachés, ça les regardait après tout.

La première séance, une semaine plus tard, s’avéra des plus étranges. J’arrivai en retard, comme il se doit, pour bien marquer qui avait besoin de qui. Paul me reçut dans son bureau encombré et dans lequel des collaborateurs affairés – je m’en aperçus rapidement – ne cessaient d’aller et venir sans se donner la peine de frapper, la porte finissant d’ailleurs par rester entrouverte. Entre les appels téléphoniques incessants auxquels Paul répondait avec une remarquable assiduité, il m’expliqua qu’il ne croyait nullement au coaching – une pratique douteuse selon lui – et qu’il avait accepté la démarche pour ne pas mettre un point de tension de plus avec le DRH. Ce dernier avait besoin de couvrir ses manœuvres de réduction d’effectif par tous les moyens possibles. Le coaching était un audit dissimulé, un révélateur d’inefficacité. Je ne niai rien bien sûr ; après tout, nous étions entre gens adultes et conscients de leur propre intérêt. Le sien était de faire comme si de rien n’était, le mien de faire le moins de bruit possible, et de rapporter l’information utile au DRH ensuite. Paul, du reste, acceptait cet état de fait et me demandait juste de l’aider à obtenir des conditions de sortie honorables. Je pouvais faire ça pour lui.

Nous avons donc planifié des séances fictives pendant plusieurs semaines. On s’inventait par mail des problématiques et des solutions. Paul liquidait son service à petit feu. Les gens n’étaient pas dupes mais n’avaient qu’une envie : changer de département, voire quitter la boîte. Du coup, ça se passait plutôt facilement. Je faisais un compte rendu régulier au DRH qui allait dans le sens de ce qu’il voulait entendre, en l’engageant à faciliter les conditions de départ de Paul pour que celui-ci joue le jeu au mieux jusqu’au bout. Il n’y voyait que du feu.
Je facturai tout ça au tarif convenu, comme si les séances avaient eu lieu, avec des frais de déplacement parfaitement imaginaires. Une bonne opération pour moi, somme toute.

Nous nous revîmes, Paul et moi, une dernière fois, lors de la séance de clôture en présence du DRH. Un régal de non-dits, chacun croyant tromper l’autre et reprenant le coaching à son propre compte en tant que démarche indispensable pour accompagner les responsables dans ces périodes délicates et blablabla. Mais l’un et l’autre étaient gagnants, leurs objectifs atteints. J’avais fait du bon boulot.

Aujourd'hui, je suis en recherche d’un superviseur. Par respect pour la déontologie du métier, évidemment. Vous auriez quelqu'un d’arrangeant à me recommander ?